Le bailleur d’un local commercial restitué avec des dégradations ne peut obtenir une indemnisation lorsqu’en raison de circonstances postérieures à la libération des lieux aucun préjudice n’est établi.
Le locataire qui restitue les locaux dans un état non conforme à ses obligations nées de la loi ou du contrat commet un manquement contractuel et doit réparer le préjudice éventuellement subi de ce chef par le bailleur. Ce préjudice peut comprendre le coût de la remise en état des locaux, sans que son indemnisation ne soit subordonnée à l'exécution des réparations ou à l'engagement effectif de dépenses. Tenu d'évaluer le préjudice à la date à laquelle il statue, le juge doit prendre en compte, lorsqu'elles sont invoquées, les circonstances postérieures à la libération des locaux, telles la relocation, la vente ou la démolition.
La Cour de cassation vient de réaffirmer ces principes à l'occasion des trois affaires suivantes, dans lesquelles des bailleurs commerciaux demandaient la condamnation de leurs locataires au paiement de dommages et intérêts au titre de dégradations commises dans les locaux loués.
Dans la première affaire, les locaux loués avaient été revendus, après leur restitution, aux fins de réalisation d’un programme immobilier ayant vraisemblablement permis au bailleur de réaliser une plus-value.
Dans la deuxième affaire, les locaux loués avaient également été revendus dans les trois mois après leur libération, et le bailleur ne prouvait pas de dépréciation du prix de vente en lien avec les manquements du locataire. Enfin, dans la troisième affaire, les locaux avaient été reloués rapidement et réaménagés par le nouveau locataire. Dans aucun des cas les bailleurs n’avaient réalisé de travaux de remise en état entre-temps.
Ainsi, les bailleurs n'ayant pas établi qu'un préjudice était résulté pour eux de la faute contractuelle de leurs locataires, leurs demandes devaient être rejetées.
À noter
La plupart du temps le préjudice du bailleur ayant récupéré des locaux dégradés est équivalent au coût de leur remise en état. Le bailleur n'étant pas obligé de réparer effectivement les lieux loués pour obtenir une indemnisation (Cass. 3e civ. 25-1-2006 n° 04-20.726), il lui suffira d’établir l’existence des dégradations et le coût de la remise en état pour justifier de son préjudice et obtenir des dommages et intérêts équivalents à ce coût.
Cependant, parfois, en raison de circonstances postérieures à la libération des lieux, le bailleur ne subit finalement aucun préjudice : c'est notamment le cas lorsqu'il est établi qu'il n'aura pas à assumer le coût des travaux et que leur défaut de réalisation n'entraîne pour lui aucune conséquence financière, tels un préjudice d’immobilisation du bien, un préjudice de moins-value à la revente ou une relocation dans des conditions défavorables par rapport à ce qu'il aurait pu obtenir si les locaux avaient été restitués en bon état.
Dans ce cas, le bailleur peut-il quand même être indemnisé ?
Dans un arrêt du 30 janvier 2002 (n° 00-15.784 FS-PBI), la troisième chambre civile de la Cour de cassation avait énoncé que « l'indemnisation du bailleur en raison de l'inexécution par le preneur des réparations locatives prévues au bail n'est subordonnée ni à l'exécution de ces réparations ni à la justification d'un préjudice ».
Elle est cependant rapidement revenue sur cette solution pour refuser d'accorder des dommages et intérêts à un bailleur se plaignant du manquement de son locataire à son obligation de restituer les lieux en bon état, au motif que, si la faute contractuelle du locataire n'était pas contestée, elle ne constituait pas en soi un préjudice pour le bailleur. Dans cette affaire le bailleur avait reloué les locaux à une société qui les avait entièrement réaménagés à ses frais, le nouveau bail n'ayant pas été conclu à des conditions plus défavorables que si les lieux avaient été restitués en bon état (Cass. 3e civ. 3-12-2003 n° 02-18.033).
Ainsi, l'absence de préjudice est exclusive de toute allocation de dommages et intérêts et les juges doivent se placer au jour où ils statuent pour apprécier l'existence de ce préjudice et l'évaluer (Cass. com. 21-4-1953 ; Cass. 1e civ. 6-10-1998 n° 96-19.575).
La Haute Juridiction réaffirme ici cette solution, fournissant trois illustrations de situations susceptibles d'avoir une incidence sur l'existence du préjudice subi par le bailleur. Observons que, dans ces trois cas, le bailleur aurait sans doute été indemnisé s'il avait attendu que le juge statue avant de relouer ou vendre son bien. Compte tenu des délais de jugement, une telle situation paraît cependant concrètement peu réaliste.
Source : Cass. 3e civ. 27-6-2024 n°s 22-24.502, 22-21.272 et 22-10-298
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